La qualité de vie au travail et le bien-être mental constituent l’un des grands défis actuels au sein des organisations de travail. Comment conjuguer les besoins des collaborateurs avec les impératifs professionnels, en particulier dans une profession exigeante comme celle de vétérinaire ? Quels élements favorisent le développement de l’épuisement émotionnel, en particulier chez les vétérinaires urgentistes ? Plongeons plus en profondeur dans le sujet !
Burn-out : de quoi on parle ?
Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, est défini par la Haute Autorité de Santé comme un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel. Il se caractérise par un processus de dégradation du rapport subjectif au travail. »
Initialement identifié parmi les personnels soignant et aidant, le burn-out peut concerner toutes les professions qui demandent un engagement personnel intense.
Le syndrome d’épuisement professionnel, ou burn-out, est caractérisé par 3 dimensions :
- l’épuisement émotionnel : c'est le sentiment d’être vidé de ses ressources émotionnelles
- la dépersonnalisation ou le cynisme : insensibilité au monde environnant, déshumanisation de la relation à l’autre (les clients ou patients deviennent des objets), vision négative des autres et du travail
- le sentiment de non-accomplissement personnel au travail : sentiment de ne pas parvenir à répondre correctement aux attentes de l'entourage, dépréciation de ses résultats, sentiment de gâchis
Ces 3 dimensions peuvent être mesurées afin de donner un « score » de burn-out.
Les signes de burn-out
Les signes de burn-out sont variés, d’intensité plus ou moins importante, souvent d’installation progressive et insidieuse. Ils peuvent être d’ordre :
- physique : fatigue généralisée, maux de tête, de dos, troubles du sommeil, tensions musculaires, troubles digestifs, etc
- émotionnel : irritabilité, pessimisme, sentiment de vide, d'impuissance, perte de confiance en soi, diminution d'engagement
- cognitif : difficultés de concentration, indécision, difficultés à réaliser des tâches d'habitude simples, qualité du travail altérée, etc
- comportemental : désengagement, perte de motivation, absentéisme, retards, attitude négative envers le travail et les autres, etc
Généralement, une association de ces signes sera trouvée. Les signes peuvent être rapportés par la personne souffrant de burn-out ou certains peuvent être observés par les collègues, amis, managers etc.
Comment mesurer le burn-out ?
Différents outils d’évaluation du niveau de burn-out ont été validés scientifiquement. L’un des plus utilisés est le MBI (Maslach Burnout Inventory) qui se compose de 22 questions évaluant les 3 dimensions du burn-out comme définis plus haut.
Ainsi, de hauts niveaux d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation associés à un bas niveau d’accomplissement personnel sont caractéristiques d’un syndrome d’épuisement professionnel.
État des lieux chez les vétérinaires urgentistes
Les études évaluant les troubles psycho-sociaux, dont le burn-out, se multiplient depuis ces dernières années. De manière générale, les vétérinaires souffrent davantage de burn-out que la population générale. En particulier, une étude nord-américaine s’est intéressée aux professionnels vétérinaires travaillant en contexte d’urgence. Sur un échantillon de 1204 personnes, le score de burn-out est modéré à élevé dans les 3 dimensions évaluées par l’échelle de Maslach (épuisement émotionnel, depersonnalisation/cynisme, accomplissement personnel). Fait intéressant, ces scores sont comparativement plus élevés (pour l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation) et bas (pour la dimension « accomplissement personnel ») que ceux de professionnels de santé humaine travaillant en urgence.
Interprétation des scoring
ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL (9 questions)
Degré de burn-out
Total inférieur à 17 = bas
Total compris entre 18 et 29 = modéré
Total supérieur à 30 = élevé
DÉPERSONNALISATION (5 questions)
Degré de burn-out
Total inférieur à 5 = bas
Total compris entre 6 à 11 = modéré
Total supérieur à 12 = élevé
ACCOMPLISSEMENT PERSONNEL (8 questions)
Degré de burn-out
Total supérieur à 40 = bas
Total compris entre 34 et 39 = modéré
Total inférieur à 33 = élevé
Score de Maslach pour chaque dimension dans des équipes vétérinaires d’urgence vs des équipes d’urgence en humaine. Source : Burnout symptoms and workplace satisfaction among veterinary emergency care providers, Holowaychuk 2022.
Il est difficile d’expliquer cette différence. En effet, les facteurs de risques de burn-out principalement rapportés (nous le verrons un peu plus bas) sont similaires en service d’urgence vétérinaire et humain. La charge de travail est imprévisible et la nature de cette discipline est exigeante psychologiquement. Une piste évoquée dans l’étude de Holowaychuk est la proximité avec la mort et en particulier avec l’euthanasie, acte qui n’est pas réalisé par les professionnels en médecine humaine travaillant en urgence. D’autres études ont montré un lien entre le fait de pratiquer des euthanasies et le niveau de stress professionnel. En effet, les demandes d’euthanasie s’accompagnent parfois d’un conflit éthique (euthanasie non médicalement justifiée, existence d’alternatives médicalement viables, etc), source de stress moral pour les équipes vétérinaires.
Qui est concerné ?
De hauts niveaux de burn-out sont rencontrés de manière générale chez les différents profils de personnes travaillant en service d’urgence vétérinaire. Les plus hauts scores sont observés chez les femmes, les résidents, les personnes qui travaillent en centres de référés privés et celles qui doivent assurer des tâches en dehors de leurs heures de travail.
Les facteurs de risques
- intensité et temps de travail : rythme de travail, responsabilités sans moyens nécessaires, interruptions fréquentes, manque de préparation, complexité, difficultés de concilier vie professionnelle et personnelle (par extension de disponibilité, horaires antisociaux, ...), etc
- exigence émotionnelle : relation au public, contact avec la souffrance, devoir cacher ses émotions, peur de l'erreur/échec, etc
- manque d’autonomie : défaut de prévisibilité du travail et impossibilité d'anticiper, procédures rigides ou manque de souplesse dans la possibilité de faire son travail,sous-utilisation des compétences, etc
- rapports sociaux de travail dégradés : conflit entre collègues et/ou l’encadrement, manque de reconnaissance, rémunération, soutien technique des supérieurs, etc
- conflits de valeurs : conflit éthique (devoir faire des choses que l’on désapprouve), qualité empêchée (ne pas avoir les moyens de faire correctement son travail), etc
- insécurité de la situation de travail : soutenabilité du travail, restructurations, travail non déclaré, etc
Enfin, les valeurs de travail et notamment l’alignement entre les valeurs des urgentistes vétérinaires et celles véhiculées par l’organisation est lié aux scores d’épuisement émotionnel (négativement) et d’accomplissement personnel (positivement).
- la charge de travail (longs shifts, charge importante). Dans l'étude française rédigée par le Pr Truchot, la surcharge de travail, le rythme de travail, les amplitudes horaires et les débordements sur la vie privée constituent le premier stresseur lié au risque de burn-out.
- l'existence et la récurrence de dilemmes éthiques (propriétaires sans/avec peu de moyens financiers ne permettant pas une gestion convenable des cas, demandes d’euthanasie non justifiées, etc)
- la proximité avec la mort et la souffrance
- les relations conflictuelles ou difficiles entre vétérinaire et propriétaire
- la survenue d'erreurs médicales et la peur de l'erreur. Dans l'étude française rédigée par le Pr Truchot, la peur de l'erreur constitue le 2nd élément le plus lié au risque de burn-out. C'est le 1er facteur lié au risque suicidaire.
Quelles conséquences ?
Outre la qualité de vie individuelle qui s’en trouve dégradée, des taux élevés de stress et de burn-out ont des répercussions organisationnelles majeures. En pratique d’urgence, 90% des vétérinaires qui comptent quitter cette discipline citent le stress important généré et le sentiment d’épuisement comme un facteur motivant leur décision. Lorsqu’on s’intéresse à ceux qui ont effectivement quitté la pratique en urgence, plus de la moitié se sentaient épuisés et citent ce facteur comme motivateur principal à leur décision.
Par ailleurs, certaines études montrent également un lien entre le niveau de burn-out des équipes et le taux d’erreur/la qualité de soins. Cause, conséquence ou les deux ? En effet, le stress chronique et l’épuisement émotionnel diminuent les capacités cognitives des individus, les rendant plus prônes à faire des erreurs. Mais la survenue d’erreurs conduit pour de nombreux vétérinaires à une détresse psychologique, qui entretient l’épuisement émotionnel.
Qu’en est-il en humaine ?
La prévalence de l’épuisement émotionnel varie, selon les études, entre 25,4% et 71,4% chez les médecins urgentistes. On retrouve là-aussi des chiffres plus importants chez les résidents, pour lesquels les scores de burn-out sont élevés chez 55,6% à 77,9% d’entre eux.
Les facteurs de risques mis en évidence sont : la charge de travail, une faible satisfaction dans leur travail, des relations conflictuelles avec les collègues, la difficulté à équilibrer vie personnelle et vie professionnelle, une culture de « blame and shame » en cas d’erreur (en particulier le développement d’un syndrome de la seconde victime), la modification du rythme circadien et la fatigue chronique engendrée, la charge administrative.
Sources :
⊕ The shortage of veterinarians in emergency practice: A survey and analysis, Booth et al., 2021
⊕ Factors that impact recruitment and retention of veterinarians in emergency practice, Kogan et al., 2022
⊕ Burnout symptoms and workplace satisfaction among veterinary emergency care provider, Holowaychuk et al., 2023
⊕ Investigation of burnout syndrome and job-related risk factors in veterinary technicians in spe- cialty teaching hospitals: a multicenter cross-sectional study, Hayes et al., 2020
⊕ Stress and strain among veterinarians: a scoping review, Robert Pohl 2022
⊕ Psychosocial working conditions and work-related stressors among UK veterinary surgeons, David J. Bartram 2009
⊕ Suicidal behaviour and psychosocial problems in veterinary surgeons: a systematic review, Belinda Platt 2012
⊕ Burnout, Drop Out, Suicide: Physician Loss in Emergency Medicine, Christine R. Stehman 2019