Vétérinaire fatigué

Burn-out chez les vétérinaires urgentistes

La qualité de vie au travail et le bien-être mental constituent l’un des grands défis actuels au sein des organisations de travail. Comment conjuguer les besoins des collaborateurs avec les impératifs professionnels, en particulier dans une profession exigeante comme celle de vétérinaire ? Quels élements favorisent le développement de l’épuisement émotionnel, en particulier chez les vétérinaires urgentistes ? Plongeons plus en profondeur dans le sujet !

Burn-out : de quoi on parle ?

Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, est défini par la Haute Autorité de Santé comme un « épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel. Il se caractérise par un processus de dégradation du rapport subjectif au travail. »

Initialement identifié parmi les personnels soignant et aidant, le burn-out peut concerner toutes les professions qui demandent un engagement personnel intense.

Le syndrome d’épuisement professionnel, ou burn-out, est caractérisé par 3 dimensions :

Ces 3 dimensions peuvent être mesurées afin de donner un « score » de burn-out.

Les signes de burn-out

Les signes de burn-out sont variés, d’intensité plus ou moins importante, souvent d’installation progressive et insidieuse. Ils peuvent être d’ordre :

Généralement, une association de ces signes sera trouvée. Les signes peuvent être rapportés par la personne souffrant de burn-out ou certains peuvent être observés par les collègues, amis, managers etc.

Comment mesurer le burn-out ?

Différents outils d’évaluation du niveau de burn-out ont été validés scientifiquement. L’un des plus utilisés est le MBI (Maslach Burnout Inventory) qui se compose de 22 questions évaluant les 3 dimensions du burn-out comme définis plus haut.
Ainsi, de hauts niveaux d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation associés à un bas niveau d’accomplissement personnel sont caractéristiques d’un syndrome d’épuisement professionnel.

État des lieux chez les vétérinaires urgentistes

Les études évaluant les troubles psycho-sociaux, dont le burn-out, se multiplient depuis ces dernières années. De manière générale, les vétérinaires souffrent davantage de burn-out que la population générale. En particulier, une étude nord-américaine s’est intéressée aux professionnels vétérinaires travaillant en contexte d’urgence. Sur un échantillon de 1204 personnes, le score de burn-out est modéré à élevé dans les 3 dimensions évaluées par l’échelle de Maslach (épuisement émotionnel, depersonnalisation/cynisme, accomplissement personnel). Fait intéressant, ces scores sont comparativement plus élevés (pour l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation) et bas (pour la dimension « accomplissement personnel ») que ceux de professionnels de santé humaine travaillant en urgence.

Burn-out chez les vétérinaires VS humaine en service d'urgence.

Interprétation des scoring

ÉPUISEMENT PROFESSIONNEL (9 questions)
Degré de burn-out
Total inférieur à 17 = bas
Total compris entre 18 et 29 = modéré
Total supérieur à 30 = élevé

DÉPERSONNALISATION (5 questions)
Degré de burn-out
Total inférieur à 5 = bas
Total compris entre 6 à 11  = modéré
Total supérieur à 12 = élevé

ACCOMPLISSEMENT PERSONNEL (8 questions)
Degré de burn-out
Total supérieur à 40 = bas
Total compris entre 34 et 39 = modéré
Total inférieur à 33 = élevé

Score de Maslach pour chaque dimension dans des équipes vétérinaires d’urgence vs des équipes d’urgence en humaine. Source : Burnout symptoms and workplace satisfaction among veterinary emergency care providers, Holowaychuk 2022.

Il est difficile d’expliquer cette différence. En effet, les facteurs de risques de burn-out principalement rapportés (nous le verrons un peu plus bas) sont similaires en service d’urgence vétérinaire et humain. La charge de travail est imprévisible et la nature de cette discipline est exigeante psychologiquement. Une piste évoquée dans l’étude de Holowaychuk est la proximité avec la mort et en particulier avec l’euthanasie, acte qui n’est pas réalisé par les professionnels en médecine humaine travaillant en urgence. D’autres études ont montré un lien entre le fait de pratiquer des euthanasies et le niveau de stress professionnel. En effet, les demandes d’euthanasie s’accompagnent parfois d’un conflit éthique (euthanasie non médicalement justifiée, existence d’alternatives médicalement viables, etc), source de stress moral pour les équipes vétérinaires.

Qui est concerné ?

De hauts niveaux de burn-out sont rencontrés de manière générale chez les différents profils de personnes travaillant en service d’urgence vétérinaire. Les plus hauts scores sont observés chez les femmes, les résidents, les personnes qui travaillent en centres de référés privés et celles qui doivent assurer des tâches en dehors de leurs heures de travail.

Les facteurs de risques
En 2011, le Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, animé notamment par le sociologue Michel Gollac, a dressé une classification des risques psychosociaux en 6 familles :
Pour découvrir l’intégralité du rapport du Collège d’expertise : c’est par ici.
 
D’après l’étude de Holowaychuk de 2022, la charge de travail, et la capacité à pouvoir gérer cette charge de travail (moyens à disposition), sont significativement associés aux scores d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation chez la population de personnel vétérinaire travaillant en urgence interrogée. Les personnes avec un plus grand score de contrôle (plus grande possibilité de prendre des décisions ou de participer aux process de prises de décisions) présentaient à l’inverse de plus faibles niveaux d’épuisement émotionnel et dépersonnalisation. En effet, le contrôle sur l’organisation de son travail permet d’en augmenter sa prévisibilité et de réduire l’anxiété.
Les personnes qui se sentaient davantage reconnues dans leur travail présentaient des scores plus élevés d’accomplissement personnel. Ce n’est pas la première étude à le montrer : le manque de reconnaissance est l’un des principaux contributeurs à l’établissement d’un environnement de travail toxique en structures vétérinaires. Une autre étude a montré que moins les vétérinaires généralistes se sentaient reconnus dans leur travail, plus leurs niveaux de burn-out était élevé. Ainsi, un leadership qui entretient notamment la reconnaissance de la valeur de ses collaborateurs est un facteur protecteur vis-à-vis du burn-out.
Enfin, les valeurs de travail et notamment l’alignement entre les valeurs des urgentistes vétérinaires et celles véhiculées par l’organisation est lié aux scores d’épuisement émotionnel (négativement) et d’accomplissement personnel (positivement).
 
Il convient de souligner que cette étude n’explore pas de nombreux facteurs qui peuvent contribuer au burn-out chez cette population de vétérinaires. Notamment, d’autres études sur des populations vétérinaires variées souligne l’importance de ces facteurs de risques :
Par ailleurs, certains éléments semblent constituer des facteurs protecteurs vis-à-vis du burn-out. Il s’agit notamment de la capacité individuelle de résilience et de la présence d’un entourage qui soutient. D’où l’importance de conserver une vie personnelle et sociale équilibrée !
Quelles conséquences ?

Outre la qualité de vie individuelle qui s’en trouve dégradée, des taux élevés de stress et de burn-out ont des répercussions organisationnelles majeures. En pratique d’urgence, 90% des vétérinaires qui comptent quitter cette discipline citent le stress important généré et le sentiment d’épuisement comme un facteur motivant leur décision. Lorsqu’on s’intéresse à ceux qui ont effectivement quitté la pratique en urgence, plus de la moitié se sentaient épuisés et citent ce facteur comme motivateur principal à leur décision.
Par ailleurs, certaines études montrent également un lien entre le niveau de burn-out des équipes et le taux d’erreur/la qualité de soins. Cause, conséquence ou les deux ? En effet, le stress chronique et l’épuisement émotionnel diminuent les capacités cognitives des individus, les rendant plus prônes à faire des erreurs. Mais la survenue d’erreurs conduit pour de nombreux vétérinaires à une détresse psychologique, qui entretient l’épuisement émotionnel.

Facteurs affectant la décision de partir des urgences
Source : The shortage of veterinarians in emergency practice: A survey and analysis, Booth et al. 2020.

Qu’en est-il en humaine ?

La prévalence de l’épuisement émotionnel varie, selon les études, entre 25,4% et 71,4% chez les médecins urgentistes. On retrouve là-aussi des chiffres plus importants chez les résidents, pour lesquels les scores de burn-out sont élevés chez 55,6% à 77,9% d’entre eux.

Les facteurs de risques mis en évidence sont : la charge de travail, une faible satisfaction dans leur travail, des relations conflictuelles avec les collègues, la difficulté à équilibrer vie personnelle et vie professionnelle, une culture de « blame and shame » en cas d’erreur (en particulier le développement d’un syndrome de la seconde victime), la modification du rythme circadien et la fatigue chronique engendrée, la charge administrative.

 

Elodie Vinet
Elodie Vinet
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