La communication est indispensable lorsqu’on évolue en équipe. En fonction des structures vétérinaires, une équipe sera composée d’un nombre plus ou moins important de membres et sera donc structurée de différentes manières. Néanmoins, quelles que soient les spécificités de chacune, certains éléments sont universels : les équipes sont formées d’individus d’horizons variés qui n’ont pas forcément les mêmes habitudes en terme de communication.
La communication correspond à l’échange d’informations entre deux personnes (ou plus). Ces interactions peuvent être verbales, écrites ou non verbales. L’obtention de données est primordiale à toutes les étapes de la chaine de soins : pourquoi un patient est-il admis ? quel protocole anesthésique ce patient a-t-il reçu ? le propriétaire a-t-il été informé du pronostic ? ce patient a-t-il reçu son injection d’anti-douleurs il y a 2h ?
On ne peut pas travailler en équipe sans communiquer. Néanmoins, la communication peut être de qualité variable. Quelle est l’importance de la communication dans l’équipe médicale ? Quelles conséquences d’un défaut de communication ? Comment favoriser une communication claire et transparente dans l’équipe ?
Quelles conséquences d'un défaut de communication dans l'équipe ?
Elles sont multiples et peuvent être directement visibles ou plus « cachées » :
- absence ou inefficacité dans les prises de décision
- désorganisation du travail
- instauration et entretien d'habitudes de communication négatives : culture du "blame and shame", ragots, commérages
- baisse de moral dans l'équipe, risques psycho-sociaux, turn-over et reconversions
- erreurs médicales
Le rapport Vétos-Entraide de 2022 a montré que les tensions avec les collègues représentaient le quatrième facteur le plus associé à l’épuisement émotionnel et aux idéations suicidaires. Par ailleurs, l’étude s’intéressant aux vétérinaires reconvertis ou désirant se reconvertir fait état d’un constat similaire : dans les témoignages libres, ce sont les difficultés au sein des équipes qui semblent le plus souvent évoquées comme facteurs de souffrances.
Les défauts de communication au sein des équipes médicales ont des conséquences bien prouvées quant à la sécurité patient. En médecine humaine, ils constituent la racine de l’erreur dans la majorité des cas.
Exemple d'un défaut de communication au sein d'une équipe soignante
Simon, un jeune homme de 18 ans, a été transporté à l’hôpital en ambulance. Il a été impliqué dans une bagarre et a été grièvement blessé à la tête lorsque celle-ci a heurté le sol. Les ambulanciers, très occupés, n’ont pas eu le temps de faire les transmissions aux professionnels de santé des urgences. Simon n’était pas capable de prononcer son nom ni de s’exprimer clairement lors de son premier examen par l’infirmière de triage puis un médecin. Le médecin de garde, un interne, était sorti de la Faculté de médecine depuis quelques semaines seulement. Il n’avait pas de superviseur cette nuit-là. Ni lui ni le personnel infirmier n’ont pris la pleine mesure de la gravité de la blessure à la tête de Simon.
Simon avait bu et l’interne a pensé qu’il était simplement ivre, diagnostic appuyé par le comportement bagarreur et agressif du jeune homme. Cependant, ce type de symptômes peut aussi indiquer un grave traumatisme crânien. Un antinauséeux a été prescrit et Simon a été placé sous observation. A plusieurs reprises, les infirmiers et l’interne ont testé séparément ses réponses motrices et verbales. Au fil des heures, le personnel infirmier a consigné une détérioration de son état dans le dossier clinique mais ne l’a pas signalée directement à l’interne. Malheureusement, l’interne comptait sur les communications verbales et n’a pas prêté suffisamment attention au dossier. Simon est décédé 4h30 après son admission.
Source : National Patient Safety Education Framework, Commonwealth of Australia, 2005.
Une étude en médecine humaine a montré qu’une communication inadéquate était impliquée dans 43% des cas d’erreur chirurgicale. L’étude de Wallis et al. de 2019, a placé les défauts de communication en seconde place après les erreurs de traitement dans les causes d’erreur au sein de 3 hôpitaux vétérinaires.
Origines d'une mal-communication
Pourquoi les membres d’une équipe médicale ne communiquent pas, pas suffisamment, ou pas adéquatement ? Naturellement, les individus n’auront pas forcément les bons réflexes en matière de communication. Les figures de leadership jouent un rôle central afin de permettre l’instauration et le maintien d’un environnement propice à une communication saine.
Les barrières communément rencontrées en matière de communication et collaboration inter-professionnelles sont les suivantes :
- valeurs et attentes individuelles
- différences de personnalités
- hiérarchie
- comportements perturbateurs
- différences culturelles, générationnelles, linguistiques, dues au genre
- rivalités interprofesionnelles et intraprofessionnelles
- différences de traitement par la hiérarchie (responsabilité des actes, reconnaissance, salaire)
- nécessité de prises de décision rapides
- complexité des soins
Des défauts de communication peuvent donc émerger de très nombreux facteurs, en particulier dans le cas d’une différence de perception du rôle de chacun. Pourtant, et il convient probablement de recentrer les choses sur ce point, une équipe va travailler dans un but commun : soigner le patient. Une autre cause fréquente de manque de communication sera la présence d’une hiérarchie verticale. En particulier, un individu pourrait être frileux à s’exprimer par peur de paraître incompétent, d’offenser son supérieur ou s’il perçoit que son supérieur hiérarchique n’est pas ouvert à la communication. Enfin, les comportements intimidants au sein d’une équipe constitueront un environnement toxique peu propice à la communication.
Pourquoi est-ce important ?
Des soins de qualité
Quand l’équipe est en harmonie et que les informations s’échangent de manière fluide, les bons traitements sont administrés dans les temps, les informations à jour sont transmises aux propriétaires et, de manière générale, la clinique fonctionne mieux. Une communication claire et transparente limite les erreurs médicales et toutes ses conséquences (pour le patient mais également le moral des équipes). Une bonne communication s’inscrit donc dans l’objectif commun : fournir les meilleurs soins possibles au patient.
Une équipe épanouie
Des temps de communication fréquents et de qualité favorisent l’établissement d’un lien de confiance dans l’équipe et permet aux membres de mieux se comprendre les uns les autres. Une équipe qui se comprend sera davantage coordonnée, ce qui facilitera grandement l’organisation quotidienne.
Par ailleurs, une communication transparente favorisera les feedbacks et critiques constructives, indispensables au développement professionnel et à l’amélioration continue.
Une gestion de crise plus efficace
Des bases solides et une équipe soudée, qui sait communiquer efficacement, sera plus adaptée dans les moments de crise. Que ce soit en cas d’arrêt cardio-respiratoire d’un animal ou d’un propriétaire qui fait un scandale à l’accueil, une chaine de communication bien définie permettra à chacun de connaître son rôle et de rendre ces moments plus gérables.
En pratique, comment faire ?
Sans surprise, l’instauration d’une communication de qualité dans l’équipe demande du temps et une attention permanente. Les challenges quotidiens peuvent nous faire glisser progressivement vers l’opposé : rancœurs, commérages, critiques non constructives, et conduire, à terme, à des relations de travail dégradées.
Importance de la culture d'entreprise
L’entreprise, par l’intermédiaire des figures de leadership, doit clairement instaurer le changement qu’elle souhaite voir opérer dans ses équipes. Comment demander à ses employés de communiquer efficacement et respectueusement si les patrons ou managers eux-mêmes ne communiquent pas ou pas correctement entre eux et avec leurs équipes ? Les comportements appropriés et attendus devraient être valorisés, alors que les comportements inadéquats ne devraient pas être tolérés.
Par ailleurs, il convient également de fournir un espace (physique, temporel) aux feedbacks des équipes. Des employés qui se sentent écoutés, et dont les remarques sont utilisées afin d’améliorer l’environnement de travail favorise l’engagement des équipes et stimulera ces échanges d’information. Un cercle vertueux en somme !
Le but commun
La littérature montre que des équipes efficaces sont caractérisées par un but et des intentions communes et sont animées par une volonté de collaboration dans le respect et la confiance. Les membres de l’équipe valorisent généralement la familiarité plutôt que le formalisme. Au sein de cette équipe ayant un objectif commun, chaque membre aura son rôle et ses tâches. Clarifier, pour tous, le rôle et les taches de chacun permettra de savoir à qui faire appel, pourquoi, dans quels contextes. Par ailleurs, définir les rôles de chacun et demander la réalisation de certaines tâches n’implique pas que ce soit dans les capacités de l’individu en question. Il faut donc rester flexible et à l’écoute des limites individuelles.
Officialiser la chaine d'informations
La mise en place de techniques de communication structurées fournit un cadre à l’équipe. Ces outils doivent être réfléchis et pensés avec l’équipe, et tous les membres devraient adhérer à leur utilisation. Quelques exemples :
- standardiser les procédures : des protocoles écrits, connus et partagés de tous, qui permettront de lisser les habitudes
- utilisation de checklists : par exemple, les protocoles de transmission de cas comme le SBAR
- mise en place d'outils digitaux : pour la repartition des tâches, la tenue des dossiers, etc
Former les équipes et les managers
Un orchestre a toujours besoin d’un chef d’orchestre. Le leadership a un rôle central dans l’instauration et le maintien d’une communication de qualité au sein de l’équipe. Des formations et des débriefings fréquents permettront d’une part de renforcer les bonnes habitudes, mais également de pointer du doigt les insuffisances du système en place.
La communication en boucle fermée est une technique de communication particulièrement efficace en temps de crise (urgence vitale, charge de travail extrême) et peut être enseignée aux membres de l’équipe soignante.
Considérations individuelles
À titre individuel, chaque membre d’une équipe peut également favoriser au quotidien la bonne entente et une communication de qualité. Cela nécessite un travail permanent, et notamment de pouvoir distinguer la perception que l’on se fait des actes/paroles d’autrui, de la signification réelle de ces derniers. Se questionner sur l’intention de notre interlocuteur qui, dans la grande majorité des cas, ne sera pas négative, peut aider à prendre du recul. Par ailleurs, laisser s’installer un climat de méfiance sera préjudiciable au long terme. Prendre le temps de rediscuter à froid des évènements problématiques ou conflictuels renforcera les liens au sein de l’équipe.
Sources :
⊕ Cummings, Charles O., David D. R. Krucik, John P. Carroll, et Jessica M. Eisenbarth. « Improving Within-Team Communication to Reduce the Risk of Medical Errors ». Journal of the American Veterinary Medical Association 260, no 6 (2 février 2022): 600‑602.
⊕ Dansereau, Fred, et Steven E. Markham. « Superior-subordinate communication: Multiple levels of analysis ». In Handbook of organizational communication: An interdisciplinary perspective, 343‑88.
⊕ Thousand Oaks, CA, US: Sage Publications, Inc, 1987. Institute of Medicine (US) Committee on Quality of Health Care in America. To Err Is Human: Building a Safer Health System. Édité par Linda T. Kohn, Janet M. Corrigan, et Molla S. Donaldson. Washington (DC): National Academies Press (US), 2000.
⊕ Oxtoby, C., E. Ferguson, K. White, et L. Mossop. « We Need to Talk about Error: Causes and Types of Error in Veterinary Practice ». The Veterinary Record 177, no 17 (31 octobre 2015): 438.
⊕ Rosenstein, Alan H., et Michelle O’Daniel. « A Survey of the Impact of Disruptive Behaviors and Communication Defects on Patient Safety ». Joint Commission Journal on Quality and Patient Safety 34, no 8 (août 2008): 464‑71.
⊕ « Disruptive Behavior and Clinical Outcomes: Perceptions of Nurses and Physicians ». The American Journal of Nursing 105, no 1 (janvier 2005): 54‑64; quiz 64‑65.
⊕ « Impact and Implications of Disruptive Behavior in the Perioperative Arena ». Journal of the American College of Surgeons 203, no 1 (juillet 2006): 96‑105.
⊕ Smith, Ilese J. The Joint Commission Guide to Improving Staff Communication. 2nd ed. Oakbrook Terrace, Ill.: Joint Commission Resources, 2009.
⊕ « Uncovering the “messy details” of veterinary communication: An analysis of communication problems in cases of alleged professional negligence – PubMed ».
⊕ Wallis, Jessica, Daniel Fletcher, Adrienne Bentley, et John Ludders. « Medical Errors Cause Harm in Veterinary Hospitals ». Frontiers in Veterinary Science 6 (5 février 2019).
⊕ Vétos-Entraide. « Enquête de Vétos-entraide sur la reconversion professionnelle vétérinaire en 2022 », 25 février 2023.